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28 décembre 2016 3 28 /12 /décembre /2016 08:37

L’épilinguistique ou l’interprétation erronée de la loi du 9 décembre 1905 « concernant la séparation des Eglises et de l'Etat » et du principe de laïcité auxquels pourraient être ajoutés les abus de langage à propos de l’égalité, de la liberté et de la démocratie exige un éclaircissement in textus.

 

 

la loi 1905 : pas de liberté religieuse

 

La première erreur est de réduire la laïcité à la loi de 1905 qui concerne « la séparation des Eglises et de l'Etat »* ; la seconde erreur est de déduire à partir de l’article 1 qu’il existe une liberté religieuse. Ces abus sont pourtant fréquents comme en témoigne l’article de E. Bastié et G. Perrault dans le Figaro du 14/09/2016. Les journalistes du Figaro interprètent les articles de la loi (qu’ils citent par ailleurs mais sans les analyser) au prisme de l’actualité et du sens commun. Ils écrivent : « D'inspiration libérale, la loi de 1905 débute par la consécration de la liberté religieuse », ce qui est faux.

 

■ art. 1 de la loi de 1905 « concernant la séparation des Eglises et de l'Etat » : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

La liberté de conscience garantit aux citoyens le libre choix de leur croyance ainsi que la pratique d’un culte non pas librement mais dans un espace légal de « restrictions » comme le signale la deuxième partie : la République « garantit le libre exercice des cultes sous (…) restrictions ». D’autre part si « le libre exercice » d’un culte est consenti, il n’est consenti qu’au nom de la liberté de conscience, non d’une liberté religieuse. Si le législateur formalise un champ c’est celui de la pensée (la conscience) non de l’expression et du libre exercice dès lors qu’il n’est pas soumis à d’autres injonctions que celle de la conscience. L’article 1 ne libéralise donc pas l’expression religieuse.

Les restrictions concernent l’Etat et les Eglises, autrement dit le système législatif d’une part, d’autre part les personnes qui président les cérémonies religieuses. Les fidèles, quant à eux, ne font pas l’objet des restrictions de l’article 2 concernant l’Etat, ni de l’article 35 concernant les Eglises i.e les ministres des cultes.

 

■ art. 2 de la loi de 1905 « concernant la séparation des Eglises et de l'Etat » : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

Si l’Etat, comprenant les collectivités territoriales, ne peut subventionner une association religieuse via le versement de salaire, le financement de la construction d’un édifice, ou le paiement de frais de fonctionnement (suite de l’art. 2), il ne peut non plus suggérer une préférence et a fortiori contraindre les citoyens dans leur choix. Dans la mesure où « liberté de conscience » prime, la loi opte aussi bien pour un choix religieux qu’un choix athéiste.

 

■ art. 35 de la loi de 1905 « concernant la séparation des Eglises et de l'Etat » : Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile.

Sont punis d’emprisonnement les ministres des cultes qui tiendraient des propos provocateurs ou incitant à prendre les armes autrement dit ceux qui appelleraient à la « sédition, révolte ou guerre civile ».

L’épilinguistique qui fait état d’une prétendue liberté religieuse au lieu d’une « liberté de conscience » et d’un « libre exercice des cultes (…) sous restriction » a ouvert la boîte de Pandore. Puisque il est entendu que le choix religieux et la pratique religieuse sont libres – auxquels s’ajoutent une seconde épilinguistique sur le droit à la liberté d’expression – les signes confessionnels ont commencé à s’afficher dans les lieux publics. Ce fut le moindre mal d’une lente et longue perversion de la loi de 1905.

 

Exemple d’un amalgame par l’Education nationale

 

 

Témoin d’un amalgame entre la loi de 1905, la laïcité et la neutralité à l’école, une page sur le site du ministère de l’éducation qui mélange lois et dogmatisme. Alors même que la loi 1905 ne contient pas le mot laïcité, il est écrit dans l’introduction : « L'importance de la laïcité dans les valeurs scolaires républicaines a été accentuée par la loi du 9 décembre 1905 instaurant la laïcité de l'État » ; ce qui laisse penser que la loi de 1905 légiférait sur la laïcité de l’Etat et a fortiori à l’école. 

Pour définir la neutralité religieuse à l’école, il aurait été plus exact de rappeler que la loi de 1905 garantissait un enseignement laïque mais par extension, puis faire clairement référence à la loi du 15 mars 2004 au lieu d’un amalgame historico-doctrinaire.

 

■ art. 1 de la loi du 15 mars 2004 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

En dépit de l’interdiction des signes ou tenues confessionnelles ostensibles, nul ne s’étonne aujourd’hui que l’article 30 de loi de 1905 ait été abrogé par l’ordonnance du 22 juin 2000.

 

■ art. 30 de la loi de 1905 (abrogé) : Conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi du 28 mars 1892, l'enseignement religieux ne peut être donné aux enfants âgés de six à treize ans, inscrits dans les écoles publiques, qu'en dehors des heures de classe.

L’abrogation de l’article 30 permet aux écoles confessionnelles sous contrat avec l’Etat de gérer des équipes administratives et pédagogiques rémunérées par le ministère de l’éducation.

 

l’autre visage de la laïcité

 

Au fil des années, la laïcité a pris plusieurs visages. En même temps qu’elle s’est étendue dans les espaces publiques, elle a trouvé ses cibles. Il ne s’agit pas ici d’expliquer les raisons de ce ciblage pour le justifier ou s’en insurger.

Après la laïcité dans les écoles de la République, la laïcité s’étend dans les lieux publics tout en ciblant les femmes portant le voile avec la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans les lieux publics.

 

■ art. 1 de la loi du 11 octobre 2010 : Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

■ art. 2 de la loi du 11 octobre 2010 : Pour l'application de l'article 1er, l'espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

 

La contrainte, l’abus d’autorité et la violence sont punis par l’article 4.

art. 4 de la loi du 11 octobre 2010 : Le fait pour toute personne d'imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d'autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d'un an d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.

 

La proposition de la loi du 13 mai 2015 « visant à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité » étend la neutralité aux structures de la petite enfance suite à l’affaire Baby Loup.

■ art. 1 de la proposition de la loi du 13 mai 2015 « Les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans gérés par une personne morale de droit public ou par une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse.

 

la laïcité de l’Etat : la constitution de 1958

La première définition de la laïcité, celle de l'État, est posée par l'article 1er de la Constitution française de 1958 qui rappelle la séparation de l’Etat et des Eglises par cette formulation : « La France respecte toutes les croyances ». De nouveau le « respect » ne signifie pas que la France autorise la liberté religieuse mais qu’elle garantit le principe de neutralité de l’Etat.

La première définition de la laïcité, celle de l'État, est posée par l'article 1er de la Constitution française de 1958 qui rappelle la séparation de l’Etat et des Eglises par cette formulation : « La France respecte toutes les croyances ». De nouveau le « respect » ne signifie pas que la France autorise la liberté religieuse mais qu’elle garantit le principe de neutralité de l’Etat.

 

■ art. 1 de la constitution française du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La Constitution de 1958 favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. La laïcité va de pair avec l’égalité (devenue la mixité dans le langage courant), elle-même associée aux principes démocratiques.

 

*

La loi 1905 et la constitution de 1958 ont été rédigées sous l’impulsion des Lumières et des Libéraux qui croient en l’homme conscient/pensant, cela ne signifie pas qu’elles confondent la liberté raisonnée et la liberté religieuse. Nulle loi n’autorise ou ne garantit la liberté religieuse. L’Etat en revanche garantit la liberté de conscience et le libre exercice d’un culte. La liberté de conscience relève elle de l’éthique individuelle (loi 1905), quand la laïcité est un principe social (de laicus, commun) (constitution 1958) qui garantit l’égalité. Ainsi c’est au nom de la laïcité d’Etat/égalité qu’un citoyen peut faire valoir ses droits (constitution 1958), mais c’est au nom de la loi de 1905 que l’on peut ou pourrait interdire des associations ou fermé des lieux de culte qui dérogent à « l'intérêt de l'ordre public » (art. 1 de la loi de 1905).

 

*https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749

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commentaires

G
Il y a une petite mais importante erreur dans ce que vous avez écrit : l'article 30 de la loi du 9 décembre 1905 a bien été abrogé mais seulement parce que l'ordonnance du 22 juin 2000 qui a créé le code de l'éducation l'a repris en tant qu'article 141-4 de celui-ci : "L'enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu'en dehors des heures de classe."
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R
Merci de ce complément d'information. Il faudrait que je me penche sur le code de l'éducation car il est permis aux établissements privés sous contrat avec l'Etat de dispenser un enseignement religieux (dont prière et chant) en sus du programme national. Ces 'animateurs' des cours religieux sont en revanche rémunérés sur fonds propres de l'établissement contrairement aux enseignants. <br /> N'hésitez pas à ajouter un lien à votre blog ou votre profil. RMH