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11 septembre 2012 2 11 /09 /septembre /2012 13:54

Voici la 2ème partie de l'article publié dans le Monde du 11/09/2012 par Michel WIEVORKA (EHESS)*.  Il prône un "ancrage" des sciences sociales dans le tissu universitaire, une meilleure attractivité,  alors que les SHS ont un besoin urgent de décloisonnement à la fois institutionnel et disciplinaire. Afin que les chercheurs en SHS ne se voient plus cloués au pinacle des intellectuels inopérants, c'est à la promotion auprès du grand public et des médias, ainsi qu'au transfert des SHS dans le monde économique, via le transfert des savoirs et des compétences, qu'il faut oeuvrer.

 

"La France, qui a été un grand pays en matière de SHS jusque dans les années 1980, n'a-t-elle pour se relancer d'autre solution que de suivre le "modèle britannique" ? Doit-elle renoncer au projet d'un modèle universitaire démocratique et ouvert à des démarches scientifiques et intellectuelles qui ne seraient pas toutes surdéterminées par la compétition mondiale et le marché ? Le système actuel ne favorise pas suffisamment l'internationalisation des SHS, et de profondes réformes sont nécessaires si l'on souhaite le retour incontestable de la France au premier plan dans ces disciplines.

Les réflexions que je mène depuis plusieurs années au sein de la Fondation Maison des sciences de l'homme avec mon collègue Olivier Bouin, économiste et administrateur de recherche, conduisent à envisager trois pistes principales.

-La première consiste à redresser l'attractivité des sciences humaines et sociales françaises et des institutions qui les font vivie. Cela passe par le soutien à des initiatives scientifiques, méthodologiques et intellectuelles innovantes, propres à renouveler les termes du débat en France, à l'ouvrir grand aux questionnements et approches qui se sont développés depuis le tournant de la globalisation des trente dernières années, et à ancrer ce renouvellement dans le tissu universitaire, en profondeur, et largement. Les instituts d'études avancées créés en France depuis 2007 ou le Collège d'études mondiales lancé en 2011 par la Fondation Maison des sciences de l'homme font partie des innovations qui ouvrent cette voie.

-Deuxième piste : le soutien à l'ouverture internationale de la recherche française. La formation linguistique, l'attention accordée aux approches comparatistes et aux efforts pour "penser global", la mobilité internationale dès le début des parcours de recherche pour s'informer des grandes évolutions des courants de pensée et entrer dans des réseaux internationaux, le soutien à la préparation des projets européens et internationaux, la valorisation des expériences internationales dans les recrutements des chercheurs et des enseignants-chercheurs, le soutien à la création de revues en langue étrangère constituent des facteurs à prendre en considération.

-Enfin, la réactivité et la souplesse des institutions d'accueil non seulement sur le plan scientifique mais également sur les plans administratif et organisationnel doivent être renforcées. Le succès récent de la Fondation J-J-Laffont à Toulouse tient à sa force d'attraction scientifique, à l'échelle européenne, mais aussi à la qualité de l'accueil et à la flexibilité des conditions que son statut de fondation lui permet d'offrir - ce qui la rapproche du modèle britannique et lui est parfois reproché. Toujours est-il que l'adossement croissant d'institutions scientifiques réputées à de telles structures est une des clés du renforcement de l'attractivité des SHS françaises dans les dix années à venir.

Un bilan lucide et sans concession de la recherche française et de ses conditions d'exercice reste à faire, au-delà de ces premières remarques. A partir de là, il devrait être possible d'engager sur une base solide une politique  universitaire et de recherche conjuguant l'exigence démocratique et l'ouverture internationale. Notre pays pourra alors retrouver son rayonnement intellectuel et scientifique sans contradiction ni renoncement. Et concurrrencer le modèle britannique sans verser dans ses travers."

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/10/sciences-sociales-le-declin-francais_1758009_3232.html?xtmc=sciences_sociales&xtcr=3


Michel Wievorka est administrateur de la Fondation Maison des sciences de l'homme et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Successeur d'Alain Touraine à la tête du Cadis de 1993 à 2009, il dirige le Collège d'études mondiales avec Olivier Bouin.

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27 décembre 2009 7 27 /12 /décembre /2009 21:12
  •  
  • Débat

Face à l’impossible fédération des SHS dès lors que le système universitaire classe les recherches en fonction de leur sujet et non en fonction de leur approche, face à la difficile fédération des laboratoires et des centres de recherche, ainsi que celle des universités, ceci malgré l’interdépendance des sciences, des savoirs et des cultures, ne devrait-on pas commencer par examiner la scission de fait (et probablement aussi logique sur le plan intellectuel que fonctionnelle sur le plan structurel) entre les arts libéraux, d’un côté le trivium : ethnologie, anthropologie, sociologie, de l’autre le quadrivium : lettres, histoire, philosophie, psychologie, en d'autres termes l’enquête de terrain et l’élaboration de théories ?

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4 mars 2007 7 04 /03 /mars /2007 10:02

Pour un enseignement des sciences sociales et humaines dès l’école primaire par Bernard Lahire* http://www.lautrecampagne.org/article.php?id=103

La nécessité de l'enseignement des sciences sociales et humaines dès l'école primaire, et tout au long de la scolarité secondaire, n'a jamais été aussi impérieuse qu'aujourd'hui. Alors que l'institution scolaire est désormais capable d'enseigner très tôt l'attitude scientifique à l'égard du monde physique et naturel, elle laisse se développer des connaissances pré-rationnelles sur le monde social. La peur que certains éprouvent à l'idée de voir entrer si tôt dans le cursus officiel le « social » conduit paradoxalement à laisser les élèves parfaitement démunis face à un sens commun assez spontanément essentialiste et à tous les pourvoyeurs d'idéologie ou les manipulateurs d'opinion qui se sont pourtant multipliés au cours des dernières décennies dans nos sociétés. Le rôle des spécialistes de la « communication politique » ou du marketing, des publicitaires, des essayistes demi-savants, des rhéteurs plus ou moins habiles, bref, de tous les sophistes des temps modernes, n'a cessé de croître, et il est urgent de transmettre les moyens de déchiffrer le monde social et de résister, du même coup, à tous les discours d'illusion. Le sociologue Norbert Elias a bien montré que les hommes ont, au cours de leur histoire, conquis une attitude de distanciation par rapport aux phénomènes naturels puis, plus tardivement, à l'égard des phénomènes sociaux. Les hommes des sociétés pré-scientifiques ont été matériellement et cognitivement impuissants face aux « caprices de la nature ». La science, elle, s'inscrit dans un processus de distanciation et de contrôle des affects. En donnant les moyens de ne pas prendre ses désirs pour la réalité, de voir les choses de manière moins directement attachée à la position de celui qui voit, l'attitude scientifique permet de sortir progressivement de l'implication de l'homme vis-à-vis de la réalité. Diffuser une telle attitude distanciée autant vis-à-vis du monde social que de la nature est un défi que l'École est aujourd'hui en mesure de relever. Ce n'est que par un bien mauvais calcul républicain que l'on peut être conduit, dans l'idée de maintenir une pseudo-neutralité scolaire, à souhaiter maintenir hors des murs de l'école les questions sociales, anthropologiques, philosophiques qui se posent et s'imposent par la force des choses. Pourquoi ne pas enseigner les outils et les manières de penser que les sciences sociales et humaines ont constitués efficacement depuis plus de cent ans plutôt que de laisser les futurs citoyens construire leurs représentations du monde social au sein de leurs structures familiales ou dans les cadres traditionnels de la socialisation (enseignement religieux, socialisation politique et syndicale, etc.) ? Il va de soi que l'objectif d'un tel enseignement à l'école primaire n'est pas de diffuser une connaissance de nature encyclopédique, d'inculquer des « théories », des « méthodes » ou des « auteurs », mais bien plutôt de transmettre des habitudes intellectuelles fondamentalement liées à des disciplines telles que la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Et plutôt que d'alourdir un programme élémentaire déjà chargé, il s'agirait davantage de refondre l'enseignement actuel de l'histoire, de la géographie et de l'éducation civique en intégrant les acquis de la sociologie et de l'anthropologie et en travaillant de concert avec tous ceux qui réfléchissent à un enseignement adapté de la philosophie. Or, comment transmettre de telles habitudes intellectuelles à l'école primaire sinon par l'étude de « cas » de différences culturelles, ainsi que par la participation active des élèves à de vraies enquêtes empiriques ? De même que les élèves prennent l'habitude de faire quotidiennement des relevés de température pour objectiver et prendre ainsi conscience des phénomènes météorologiques, ils pourraient être entraînés à l'observation et à l'objectivation du monde social. Si l'expérimentation est au fondement des sciences de la matière et de la nature, l'esprit d'enquête est, lui, à la base de toute science du monde social. Ainsi, l’une des premières compétences que le regard sociologique suppose est une capacité de description et de narration de ce qui s'observe directement (paysages, lieux, décors, objets, personnages, manières de dire ou de faire, etc.). La description et la narration étant au programme de l'école primaire, il n'est pas irréaliste d'orienter aussi ces tâches vers l'étude de comportements réellement observés. Par ailleurs, s'adaptant à la réalité sociale contemporaine, l'école primaire a d'ores et déjà intégré dans ses activités de production écrite « la réponse à un questionnaire ». Les élèves peuvent donc être entraînés à créer collectivement des questionnaires sur des thèmes choisis et aboutir à certains comptages simples (la notion de proportion étant abordée dès le cours moyen). Une telle démarche aurait pour but d'apprendre l'esprit d'enquête et d'acquérir le sens et l'intérêt des enquêtes quantitatives. Au moment où l'on évoque publiquement de plus en plus fréquemment la nécessité d'une « formation à la citoyenneté », et où l'on n'envisage généralement de répondre à cette exigence que par le retour à un enseignement de la morale ou par l'éducation civique, les sciences humaines et sociales doivent revendiquer haut et fort leur place au cœur de cette formation : le relativisme anthropologique (relativisme méthodologique qui n'a strictement rien à voir avec un indifférentisme éthique), le mode de pensée relationnel (opposé à toutes les formes d'essentialisme), la prise de conscience de l'existence d'une multiplicité de « points de vue » liée aux différences sociales ou la connaissance de certains « mécanismes » et processus sociaux (et non la seule visite guidée des institutions officielles de la République), tout cela pourrait utilement contribuer à former des citoyens qui seraient un peu plus sujets de leurs actions dans un monde social dénaturalisé, rendu un peu moins opaque, un peu moins étrange et un peu moins immaîtrisable.

Bernard Lahire* * Sociologue, professeur à l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, directeur du GRS (CNRS), auteur de « Vers une utopie réaliste : enseigner les sciences du monde social dès l'école primaire », L'Esprit sociologique, La Découverte, Laboratoire des sciences sociales, Paris, 2005, p. 388-402.


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26 avril 2006 3 26 /04 /avril /2006 19:07

 

introduction

 

La polémique entre évolutionnisme et diffusionnisme de la seconde moitié du XXe siècle, le débat entre fonctionnalisme et déconstructivisme de ces dernières années, au cœur de la mouvance structuraliste depuis le " linguistic-turn ", n’ont pas fini de nous interroger. Il suffit de rappeler les attaques contre la philosophie et l’histoire traditionnelles au profit des systèmes, structures, modélisations, archéologies, théories unifiées, à quoi il convient d’ajouter a contrario les récentes tentatives déconstructivistes des systèmes que la philosophie analytique et le cognitivisme devaient créditer au profit du langage et du logocenstrisme, mais aux dépends d’une haletante réhabilitation de la raison pratique, des sciences de la nature, des philosophies expérimentales, et de l’éthique conçue comme ouverture à l’Autre, non seulement comme extase dans l’être, moins d’ailleurs comme un vulnérable " se dévêtir d’être " et un impossible " pâtir premier ", qu’une ouverture à ce qui vient.


Voici venu le temps du désenchantement quand, observateurs désabusés par l’échec de l’ambition d’une science unifiée de l’homme et de la société, force est à nous de trouver quelque voie nouvelle si nous ne voulons pas creuser l’abîme des sciences humaines et sociales. Assurément renseignés par les débats entre fonctionnalistes et déconstructivistes de ces dernières années, nous nous trouvons dans la situation similaire d’un voyageur sans frontières, puisque nos prédécesseurs ont heureusement ouvert peu ou prou les portes des disciplines, mais également d’un voyageur errant ne sachant quand a commencé le cheminement, et quelles voies seront à prendre. Comme Dante, le chercheur n’est-il pas à un croisement qui l’oblige à quitter la voie droite pour des sentiers obscurs ?


Désormais impossible, l’ancien parcours itinérant est devenu un voyage diffus fait d’errance et d’embûches. Car il nous faut quitter la voie tracée par tous ceux qui rêvaient d’atteindre l’unité des savoirs, pour cheminer moins habilement dans les structures même, sans vouloir créer de l’unité, et sans vouloir pour autant détruire. Ainsi cheminerons-nous non au risque de l’autre menaçant mais parce que l’autre nous donne des indications méthodologiques d’un savoir préétabli.

 

 

 
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